ABANDON
â Léon G. DAMAS
Dans le bois
obscurci
Les trompes
hurlent, hululent sans merci
sur les tam-tams maudits.
Nuit noire,
nuit noire !
Le lait s'est
aigri
Dans les
calebasses
La bouillie a
durci
Dans les vases,
Dans les cases
La peur passe,
la peur repasse,
Nuit noire,
nuit noire !
Les torches
qu'on allume
Jettent dans
l'air
Des lueurs sans
volume,
Sans éclat,
sans éclair,
Les torches
fument,
Nuit noire,
nuit noire !
Des souffles
surpris
Rôdent et gémissent
Murmurant des
mots désappris,
Des mots qui frémissent,
Nuit noire,
nuit noire !
Du corps
refroidi des poulets
Ni du chaud
cadavre qui bouge
Nulle goutte
n'a plus coulé
Ni de sang
noir, ni de sang rouge,
Nuit noire,
nuit noire !
Les trompes
hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams
maudits,
Nuit noire,
nuit noire !
Peureux le
ruisseau orphelin
Pleure et réclame
Le peuple de
ses bords éteints
Errant sans
fin, errant en vain
Nuit noire,
nuit noire !
Et dans la
savane sans âme
Désertée par le
souffle des anciens
Les trompes
hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams
maudits
Nuit noire,
nuit noire !
Les arbres
inquiets
De la sève qui
se fige
Dans leurs
feuilles et dans leur tige
Ne peuvent plus
prier
Les aïeux qui
hantaient leur pied
Nuit noire,
nuit noire !
Dans la case où
la peur repasse
Dans l'air où la
torche s'éteint
Sur le fleuve
orphelin,
Dans la forêt
sans âme et lasse
Sur les arbres
inquiets et déteints
Dans les bois
obscurcis
Les trompes
hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams
maudits
Nuit noire,
nuit noire !