Ô mort où est ta victoire
par DONO
A force de rabouter sa plume,
Birago Diop l'a définitivement cassée, le samedi 25
novembre 1989, et un grand jeu d'images en est ,tombé. Mais
« ô Mort où est ta victoire ».dirait Daniel
Rops. Car, s'agissant d'un monument comme le disciple d,'Amadou
Koumba, comment appréhender, cette fatalité biologique
? Le néant physique n'est absolu que pour ceux qui ayant
laissé aucune empreinte sur la planète, n'en laissent
pas davantage dans la mémoire débile des
générations fugitives.
Birago, lui, demeure. Il demeure parce qu'étant multiple,
polyvalent, multiples sont les empreintes qu'il a
disséminées sur terre. Non pas uniquement sur le
microcosme aréneux, latéritique et caillouteux d'un "
Ouest africain qu'il a sillonné en long et en large pour que
survive le cheptel et è l'homme du Sahel - ce qui n'est pas
donné à tous -, mais aussi, mais surtout dans l'esprit
et le coeur de ses contemporains subjugués.
D'autres ont dit sur tous les tons et dans toutes les langues que
Birago est le surgeon d'Amadou Koumba, en somme la caisse de
résonance d'une tradition griotique en
déshérence. Oui, non. C'est selon. S'il est vrai que le
conte prédomine dans son oeuvre gigantesque, il ne peut
à lui seul résumer un processus historique dont il
n'est de toute évidence que l'expression parachevée. Le
conteur ce n'est pas tout Birago, il est l'une des facettes de la
polyvalence créatrice d'un artiste né.
Ne parlons même pas du vétérinaire, dont on ne
peut nier pourtant que les pérégrinations
trans-sahéliennes ont, tout autant que le sage Amadou Koumba,
façonné le maître oraliste. Le dire n'est pas
ininimiser une influence que traduit la fidélité aux
sources ancestrales, à cette manière de pacte qui le
lie au modèle, « sac à paroles » d'illustre
mémoire. Mais enfin Birago a voyagé ! Il a
pratiqué les grands africanistes, il s'est familiarisé
avec les principaux courants humanistes du XIXE siècle, il a
contribué à l'émergence du mouvement de la
Négritude. Peut-être pas à l'égal de
Césaire, Damas et Senghor, en tout cas assez pour que sa
conception de l'esthétique se traduise par un « must
» qui donne à ses contes une tournure d'esprit
différente de celle de l'archétype. Comme quoi on peut
être fidèle sans singer, renouveler sans trahir. Si ce
n'est pas là la marque du génie, alors il n'est de
génie que de nom
Nul ne l'ignore : Birago a fait de la poésie. Mais combien
savent qu'il a « tâté » du
théâtre ? Soyons clair. Si la poésie de Birago ne
connaît pas le rayonnement de celle du fils de Diogoye-Le-Lion,
elle n'en a pas moins cette flamboyance rythmique, cette
impétuosité souveraine dont Sarzan constitue un
échantillon probant. Il n'est pas douteux que s'il ne
s'était pas contenté de « tâter » du
théâtre, sa touche originale lui aurait, là
aussi, ouvert de lumineuses perspectives.
Comment, enfin, ne pas nourrir des regrets que Birago ne soit pas
romancier ? Il a bien dit quelque part qu'ayant l'esprit trop
synthétique, il essoufflerait dans ce genre roturier. Mais
voyons y plutôt la feinte d'un maître qui veut, à
loisir, creuser son trou là où il croit avoir
trouvé s voie par excellence. Le souffle, son souffle, on le
découvre, inépuisable, dans 1 pages de sa tranche de
vie : La plume raboutée, A rebrousse-temps...
Voilà la difficulté. Celle d'être u monument de
son vivant, celle de témoigner sur un monument. Quand bien
même ce monument aurait le faciès d'un bon pater
familias suspendu à sa bouffarde comme l'humus ancestral,
force est de reconnaître que la complexité du personnage
m que la personne. Parce que Birago n'a jamais été un
démagogue propulsé vers 1 foules par le délire
du «m'as-tu-vuisme> Parce que la légende a
tissé autour de 1 un voile si épais que Roger
Dorsinville son ami et alter ego, disait que la plupart des
Sénégalais, voire des Dakarois, étaie surpris
d'apprendre que le Birago d Contes et Lavanes existait en chair et e
os, et pas seulement « dans les livres Ainsi, personnage
historique, Birago confond avec son oeuvre jusqu'à n'existe
qu'à travers elle.
N'est-il pas significatif que Soleil lundi 27 novembre 1989, rendant
compte de la sortie de scène du Maître, ait titré
<Birago parmi nous » ? Ô combien « Birago parmi
nous » sonne juste 1 Beaucoup n'ont dû prendre conscience
de matérialité charnelle qu'au moment où nous
tire sa révérence. Mais il sait bien lui, que les morts
ne sont jamais tout à morts. N'est-ce pas, Sarzan !
J'ai été pendant longtemps au nombre des Africains qui,
depuis l'Ecole, ânonnent les contes et les poèmes de
Birago comme ils le feraient des morceau d'anthologie de Perrault et
de Vigny, même se douter qu'il est aussi nègre, aussi
vivant qu'eux-mêmes. Plus de temps encore il m'a fallu pour
approcher Maître.
Cette rencontre « historique » a eu lieu par une
matinée pluvieuse, dans son ermitage d'Amitié 2. Les
circonstances étaie douloureuses, car il venait de perdre
femme, et je m'étais déplacé spécialement
pour lui présenter mes condoléances confraternelles. En
fait, j'allais comme à pèlerinage. D'une dignité
émouvante, m'a reçu en compagnie de sa fille. Roc
vieillissant, arborant sa pipe comme symbole emblématique, il
a posé sur moi un regard si pétillant de bonté
que toute l'admiration et la compassion que je voulais lui exprimer
par le geste me sont restées au fond des entrailles. Ce geste,
c'est en définitive lui qui l'aura accompli s'avançant
péniblement vers moi pour m'inviter à les embrasser,
lui et sa fille.
C'est ce jour-là que j'ai découvert la personne de
Birago Diop sous le personnage du Maître. C'est le souvenir
qu'avant tout je veux conserver de lui. Et c'est pour cela que je
témoigne aujourd'hui.
Soka magazine