La mort d'un poète
par Bernard Magnier
«Ceux qui sont morts
ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire et dans l'ombre qui
s'épaissit, les morts ne sont pas sous la terre : ils sont
dans l'arbre qui frémit, ils sont dans le bois qui
gémit, dans l'eau qui coule, dans l'eau qui dort, dans la
cave, ils sont dans la foule, les morts ne sont pas
morts».
Comment ne pas citer ces vers, parmi les plus célèbres
du continent africain, alors même que leur auteur vient,
à son tour, le 25 novembre dernier (à quelques jours de
son quatre-vingt troisième anniversaire), de rejoindre le pays
des ancêtres ?
Comme ce poème «(Souffles»), bien d'autres textes
extraits de ses recueils de poèmes (Leurres et lueurs
publiés en 1960 et dont certain s poèmes avaient
été écrits en 1925) ou des contes
(Contesd'Amadou Koumba publiés en 1947 dans la collection
«Ecrivains d'Outremer» que dirigeait Léon Gontran
Danias chez Fasquelle, puis Nouveaux Contes damadou Koumba en 1958,
Contes et lavanes en 1963, enfin Contes daiva en 1977) ont fait le
tour du monde et ont connu un succès qui ne s'est jamais
démenti. Adaptés à la scène, ils ont
été traduits, lus, appris sur tout le continent
africain mais aussi dans toute l'Europe, au Japon comme en Argentine,
en URSS comme en Israël.
L'Os, le plus célèbre de ses contes figurait
déjà dans le premier numéro de la revue
Présence Africaine, paru en novembre 1947. Plus tard, l'auteur
adaptera ce texte qui deviendra L'Os de Mor Lam et sera
présenté à Paris et en tournée mondiale
dans une mise-en scène de Peter Brook.
Ayant, depuis plusieurs années, abandonné la fiction,
il consacrait ses forces à la rédaction de ses
souvenirs dont il faisait un compte-rendu pointilleux et d'une
étonnante précision. Dans ses cinq volumes (La Plume
raboutée, A Rebrousse-temps, A Rebrousse-gens, Du Temps de...,
Et les yeux pour le dire), il retraçait l'itinéraire de
cet homme, vétérinaire de profession (il exerça
dans tout l'Ouest africain) qui devint ambassadeur du
Sénégal en Tunisie, à la demande de
Léopold Sédar Senghor dont il avait fait la
connaissance lors de ses études à Paris, avant de
revenir à la médecine vétérinaire en
ouvrant une clinique à Dakar et sans jamais cesser vraiment de
s'intéresser à la littérature la sienne ou celle
de ses collègues ou compatriotes.
Dans sa préface, "Orphée noir", à l'Anthologie
de la nouvelle poésie nègre et malgache réunie
par Léopold Sédar Senghor (dans laquelle Birago, Diop
était l'un des trois poètes africains retenus aux
côtés de David Diop et de Senghor), Jean-Paul Sartre
définissait le poète de "Souffles" comme "le centre
calme du maelstrom", que constituaient alors les créateurs et
défenseurs de la Négritude. La Négritude pour
laquelle Birago Diop avait cette formule, vive et acerbe, : "un mot
que je n'ai jamais employé parce que j'y avais toujours
vécu»".
Le cinquième et dernier tome de ses Mémoires, Et les
yeux pour le dire (L'Harmattan) est paru au mois d'octobre, Birago
Diop y avait, en quelque sorte, rattrapé le temps
présent. A la fin de ce volume, il avait souhaité voir
figurer un entretien, comme «un dernier point ravaudage à
ma défroque d'écrivain», dans lequel il nous
confiait: "j'avais appris à lire pour pouvoir écrire.
J'ai beau coup écouté pour savoir «dire». Et
j'ai essayé de bien écrire des «dits». Une
bien belle définition de son travail.
Jeu sur les mots et précision du langage. Birago Diop avait
incontestablement des goûts littéraires classiques, Il
avouait volontiers que ses lectures ne dépassaient
guère la fin du XIXème siècle, à
l'exception, bien sûr, de quelques écrivains africains,
et tout particulièrement sénégalais, pour
lesquels il avait une approche exigeante, atténuée par
une réelle tendresse paternelle.
S'inspirant très largement de la tradition orale -même
si ses contes doivent beaucoup à son propre talent et bien
qu'un excès de modestie l'ait amené à se
dissimuler derrière l'ombre du griot Amadou Koumba- Birago
Diop a, par son oeuvre, rejoint ce patrimoine anonyme qui fait de lui
l'auteur trop souvent ignoré d'une oeuvre universellement
reconnue.
«Ceux qui sont
morts ne sont jamais partis»...
AFRICA
INTERNATIONAL N°223 Janvier 1990