Présentation des contes par R. Mercier et M.et S. Battestini
Origines
Comme tous les écoliers d'Afrique, Birago Diop avait appris et récité des fables de La Fontaine, et comme tous les enfants du Sénégal, il avait entendu les « dits » des veillées qu'entament les paroles sacramentelles. Le conteur demande : Fables? L'assistance répond : « Fables... »... « il y avait une fois... comme de coutume. » L'enfant a donc participé à ce théâtre nocturne, sous l'arbre à palabres, comme tous les jeunes Ouolofs.
A l'école primaire il apprit, par hasard, que les contes pouvaient non seulement être « dits », mais mieux, être « écrits » : il découvrit un petit livre de la Bibliothèque Rose -. Les trois volontés de Malick, qu'avait publié, un instituteur sénégalais : Mapathé Diagne.
il anticipa donc sur ce que André Terrisse appela « l'accord de l'oralité
et de l'écriture». Jusqu'alors, il écoutait, se souvenait; il sut que l'on pouvait « conserver » en transmettant l'écrit. Et qu'il le ferait, puisqu'un maître d'école africain s'y était essayé.
Au lycée Faidherbe, nous confie Birago Diop, élèves (et professeurs) admettaient la suprématie des élèves ouolofs en maths et sciences, mais, en français, elle était grandement discutée; aussi, lorsque Birago remit un matin une dissertation sur la fable XIV, livre X, Les Lapins, il ne s'attendait guère à une controverse : il avait honnêtement travaillé son commentaire, il comptait sur la moyenne. Lorsque le professeur rendit les devoirs, Birago Diop fut déçu, ulcéré : on l'accusait d'avoir copié. Bilan : un zéro, deux semaines de retenue et, ce qui est plus grave, le sentiment d'une injustice foncière. Mais, et ceci compense bien cela, Birago Diop avait conscience d'avoir «compris» La Fontaine, et il sentait la naissance d'une vocation indiscutable.
Rencontres
Nous avons vu que, parmi ses plus fidèles amis, Birago comptait ses deux frères aujourd'hui disparus : Massyla, écrivain, publiciste, rédacteur en chef du journal Le Sénégal Moderne et de la Revue Africaine, auteur de La Sénégalaise (roman), Thiago (sonnets) et Le chemin du salut (nouvelle), et Youssoufa, médecin, historien, polyglotte et grand voyageur, qui se présenta comme « l'aïeul , « l'ancêtre », « le Grand Homme », parce qu'il était parvenu à démêler une généalogie particulièrement embrouillée.
En vacances, le vieux griot Guéwel M'Baye et le diseur Matabara Massamba Ali M'Baye le ramenaient aux origines, et Birago reconnaissant fera de Guéwel M'Baye l'un des trois héros du Prétexte. Il retrouve les dits de son griot favori dans ses lectures éclectiques (les « Africanistes » et le fameux « Batouala» de René Maran). Ne revenons pas sur l'influence probable de ses professeurs de Saint-Louis, ou de Toulouse, ni sur ses connaissances de la rue de Lourmel ou de la Cabane Cubaine.
A son second séjour au Soudan, Birago ressentit plus intimement le contact avec les êtres et les choses. Il cite la redécouverte des rudiments de son enfance à leur source première : « mots ésotériques des Kassaks, chants initiatiques, mets-nobles des passines-devinettes ». Redécouvrant le Soudan, il découvre les «Soudanisants», Dupuy-Yacouba, Mamby Sidibé, et le colonel Figaret, son voisin de Ségou.
C'est l'époque de sa passion pour les sages antéislamiques, Abou Nouwas l'intempérant, Djoulnoun, Antar le Noir. C'est aussi la recherche du temps perdu avec un ancien condisciple, Abdoulaye Soumaré, avec lequel il chante ses kassaks et ses m'bands *, en disant des lavanes *.
Damas et Ramon Fernandez le forcèrent presque à écrire ce qu'il disait, chantait et dansait. Condamné à écrire, Birago écrivit, mais toujours chantant et dansant. Il s'amusa beaucoup!
Publication
Nous avons, dans l'Aperçu biographique, dit l'essentiel sur les circonstances dans lesquelles l'oeuvre de Birago Diop a vu le jour. Ajoutons simplement ici que lorsque parut, le 30 mars 1963, un troisième volume de Birago Diop, Contes et Lavanes, on épilogua beaucoup sur ces « lavanes » (alors que le mot figure à la préface des premiers contes!). Ce sont communément des devinettes, des énigmes chantées. Citons, une fois de plus, l'auteur : « La lavane, étymologiquement, c'est « ce qui traîne», ce qui est « ajouté » à des choses sérieuses, sentences et paroles sacrées, par les disciples, les étudiants. C'est ce que l'élève apporte de typiquement personnel quand il étale son savoir et les leçons qu'il aura apprises de ses maîtres proches ou lointains, morts ou vivants. »
A l'intérieur du « commentaire», circule souvent une sorte de « mystère », d'où la «devinette» dont nous parlions. Le Lavanekatt, en même temps qu'il est diseur de commentaire, est en même temps poseur d'énigmes.
Techniques et genres
Birago tient à être fidèle à son vieux griot, et son récit en prose, tel qu'il l'aura (ou tel qu'il sera censé l'avoir) entendu, il le restituera dans sa forme directe. On ne peut donc parler de « composition », mais d'une manière de conter qui se réfère immédiatement à la forme orale. C'est une histoire faite pour être lue, comme pour être écoutée. Aussi Birago Diop parle ses contes au moment même où il les écrit, sans aucune retouche de style, afin de ne pas nuire au flot naturel de l'épisode. Parfois, entre deux faits, comme s'il s'agissait d'un aparté, il ajoute des intercalaires, ou des réflexions.
Un développement peut ainsi servir d'entracte.
Le conte ne doit rien au travail, mais au talent du conteur. On y sent la familiarité, la proximité, et l'on est complice parce que, au milieu du dialogue, ou tout en communiquant de nouveaux détails, le narrateur met l'auditoire (et le lecteur) « dans le coup ».
Cette « communicabilité » explique la «vie» même du conte, autant que la sensation d'apaisement face au succès de l'anecdote transmise, avec le sourire de connivence du conteur aux auditeurs.
Chacun des contes est un véritable petit drame dont les acteurs sont tour à tour des êtres humains, des animaux, des plantes, des génies ou des objets. On peut dire de l'oeuvre de Birago Diop queue est, comme celle de La Fontaine, « une ample comédie aux cent actes divers ». Bêtes et gens, démons et merveilles, s'affrontent ou s'associent, badinent ou se narguent. Que la satire soit mordante ou bienveillante, elle porte, et le conte, au fond, n'est jamais gratuit.
Conclusion
Le « théâtre africain » est encore à naître, dit-on. Par ses contes, Birago Diop a fait mieux que l'ébaucher.
Le conteur possède l'art de créer la vie, ou de la recréer sur la scène de la fabulation : faune humaine ou animale, faune éternelle des origines au temps présent. Grâce à Guéwel M'Baye et Nitjéma, grâce à «I'Hyène aux reins fléchis et à la fesse basse », à « Leuck l'oreillard », à « Thioye le Perroquet dont la langue en hameçon accroche tous les potins », il rend accessible la vérité allégorique.
Tous ses interprètes à plumes, à fourrure ou en boubou l'y aident de leurs expressions populaires «( que le Ouolof y aille si le Français n'y peut aller ».)
Le «fabuliste au grand coeur» (comme l'appelle M. de Bergevin) exhume la parabole contenue dans les contes et proverbes, véhicules de préceptes lointains et d'expériences ancestrales.
Les Contes Noirs de Birago Diop témoignent d'une connaissance intime du patrimoine vivant et cautionnent la poésie blanche des années d'essai.
L'auteur n'a gardé que quelques pétales de ce qu'Alphonse Daudet nommait « le bouquet de coquelicots ». Mais, dains ces éloges épars venus à la fois de l'Ancien, du Nouveau et du Tiers-Monde, on retient surtout la reconnaissance passionnée des lecteurs avides de pénétrer dans la terre millénaire des griots.