BIRAGO DIOP
TABLEAU PREMIER -
DEUXIEME TABLEAU - TROISIEME TABLEAU - QUATRIEME
TABLEAU -
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Théâtre
INTRODUCTION :
C’est un vieil Os centenaire et qui date de trente ans. En
tant que conte, il figure dans le numéro 1 de la Revue Présence Africaine et a
été traduit même en polonais.
Les habitudes de la vie imposées par la TRADITION se révèlent mal adaptées aux besoins de Mor
Lam. Disons que Mor Lam s’adapte mal à ses obligations.
Son désir de se trouver seul, dans sa demeure, pour savourer
son OS, explique toute l’importance de l’événement et dénote un égoïsme bien
humain.
Mais son choix, sa décision : plutôt faire le mort que
partager l’Os, est terrifiant.
Prisonnier de lui- même, sans générosité… Il meurt. C’est
dans l’ordre.
Il faut jouer le Jeu de la Tradition, celui de la Société
dans laquelle nous vivons. NOUS NE SOMMES PAS LIBRES.
Et AWA ? L’épouse modèle ? Elle n’existe que dans
l’OBEISSANCE à laquelle elle se soumet tout naturellement .
Attachée à Mor Lam par les liens implicitement contenus dans
le simple fait d’EPOUSE, elle accepte d’entrer dans le jeu, ou plutôt dans
l’ANTI-JEU de son mari au risque de la
perdre.
Est-ce par respect de la LIBERTE de Mor Lam ?
Est-ce de l’indifférence ? Allez savoir.
Mais MOUSSA MBAYE
est-il un véritable FRERE ? Lui qui, jouant le jeu, pousse son PLUS QU’AMI
dans la tombe ?
C’est au Spectateur à REFLECHIR.
La
cour de la demeure de MOR LAM.
Un
arbre.
A
droite de la scène : Une case-cuisine avec un foyer, des ustensiles de
ménage, un petit lit (tara), des nattes roulées appuyées au fond de la case.
A gauche de la scène : Une case avec un lit, une grande
malle.
ACTE
I
SCENE I
Assises
dans la cour sur de petits bancs. Des calebasses, un mortier, des pilons, un
canari, un pot à eau, une bouilloire au coin à gauche.
Mô
Awa NDAYE, ton mari ne t’a rien dit hier soir en rentrant ?
Ne
m’a pas dit quoi ?
Il ne
t’a pas parlé de tong-tong, de partage de viande ?
Je
l’ai entendu parler de tong-tong, mais c’était dans un rêve, tard dans la nuit,
entre deux ronflements.
Awa,
depuis combien de temps n’as-tu pas mangé de viande ?
Mangé de viande ? De la viande
de quoi ?
De
la viande rouge.
Cela
Oumi GUEYE je ne me rappelle plus. Depuis ma jeune et tendre enfance je n’ai
jamais vu dans Lamène, d’où je ne suis jamais sortie, de la pointe d’une corne
de bœuf, de mouton ou de chèvre, si ce n’est sous forme de gri-gri habillé
d’étoffe rouge piquée de cauris.
Le
goût de la viande a dû se confondre, se mêler dans ma bouche avec le goût du
lait de ma mère dont j’ai perdu, tu le penses, tout souvenir.
Sa-Dagga le Mbandakatt se
moquait bien devant nous des gens de Niangal qui se contentaient de poisson
frais et de poisson sec car le poulet n’était pas à la mode chez eux.
Ma
mère chantait aussi la chanson de Sa-Dagga en plumant quelque providentielle
pintade.
Elle prend une calebasse et rythme la chanson.
Ba
ma démé Niangal
Gni
déffi djène
Gni
déffi guèdje
Bo ba ganar Xéva goul…
Sa-Dagga devait, en bon mbandakatt, en dire autant
sinon pire que nous Lamène-lamène devant d’autres spectateurs d’autres villages.
Car nous n’étions pas mieux lotis que ceux de Niangal.
Nous
ne sommes toujours pas mieux lotis que personne, tané vou gnou Kène katt !
Mais
Dieu est bon. Je crois bien que nous allons voir bientôt la fin de notre faim de
viande rouge ;
Quand ?
Kagne ? Nane ? Comment ?
Bientôt !
Avec le tong-tong du taureau qu’on est allé chercher, nous aurons tous de la
viande rouge, hommes et femmes. Et les vieux , les plus vieux du village comme
les gens d’âge mûr la plupart d’entre eux maintenant sans dents hélas !
vont réapprendre à connaître le goût de la viande rouge.
Les
jeunes et les plus jeunes, qui n’auront peut-être en fin de compte que des os à
ronger, sauront enfin ce qu’est sinon le goût du moins l’odeur de la grillade.
Et
ils l’auront bien mérité, ces enfants ! car si nos hommes ont dessouché,
défriché, brûlé et sarclé au temps des labeurs ; si nous femmes nous avons
semé dès les premières pluies, si le Ciel a été clément, si la terre a été
généreuse, si les criquets ont été absents par bonheur, les enfants eux ont
(souvent en rechignant bien sûr) abandonné leurs jeux pour veiller aux épis
contre les mange-mil, ces impudents ravageurs. Les plus adroits, dont tes fils,
ont contraint à coups de gourdins Golo-le-singe et les siens à respecter nos
arachides et nos niébés. Ils ont piégé Baye-Thile le père des chacals et
ceux-ci ont jugé plus sage et plus salutaire d’aller chercher ailleurs des
pastèques, peut-être aussi juteuses et succulentes mais et surtout de récolte
plus facile et à moindres risques. Ils ont mérité une récompense, les enfants.
Et
nous aussi nous le méritons. Et nous allons l’avoir, salaw ! Nos greniers
sont pleins, bourrés jusqu’au sommet des toits de chaume de la récolte. Une
partie de nos graines, mil, maïs, niébé, va servir à se procurer de la viande
rouge et d’autres choses aussi, sucre, thé… mais d’abord de la viande rouge.
Et
d’où nous viendra-t-elle, cette viande rouge ?
Les
hommes ont décidé hier au Conseil des Anciens d’envoyer des jeunes et des ânes
avec leurs charges de graines, là-bas dans le Nord, au Ferlo où paissent
d’immenses troupeaux des Peulh qui ont tant de bœufs qu’ils ne peuvent même pas
les compter, mais qui ne mangent presque jamais de la viande de leurs bêtes.
AWA
Il
est vrai que l’abondance dégoûte. Et quand ramasser devient aisé, se baisser
est difficile.
OUMI
Cependant
le peulh ne vit pas que de lait…
Eh !
doucement, ndank ! N’oublie pas que ma grand-mère était une poulotte.
Je
ne l’oublie pas. C’est pour cela
d’ailleurs qu’on t’appelait Awa-Xongué, Awa-la-rouge.
Je
ne dis pas du mal des peulh. Mais ces bergers esclaves de leurs animaux, qui ne
restent jamais aux m^mes endroits, qui ne cultivent jamais le moindre lopin de
terre, qui ne touchent de leur vie ni gop, ni daba, ni hilaire, ni hoyau, sont
quelquefois bien heureux et fort aise d’avoir du mil , quel qu’il soit
d’ailleurs petit ou gros, souna ou sanio. Pour de ce mil faire un couscous à
leur façon, sans poudre de feuille de baobab, sans lalo, qu’ils mélangent avec
toutes les sortes de leur lait : lait frais, lait endormi, lait caillé ou
lait aigre.
Et
alors ? …
Alors…
VOIX de MOR LAM, en
coulisse
Qui parle dans ma cour à cette
heure-ci ?
C’est Oumi GUEYE rék, Lam !
MOR LAM, entrant,
furieux
Oumi
Guèye, ton mari est rentré chez lui, lui aussi. Et je m’étonnerais fort s’il ne
s’étonne pas de ne pas trouver sa femme dans sa maison.
OUMI, s’agenouillant
pour saluer
Lam.
MOR LAM, bourru
Djam rék Guèye. Mais rentre chez toi.
OUMI, se relève et
prend congé
Awa, passe la journée en paix.
Djam ak djam Guèye.
(Exit OUMI GUEYE)
MOR LAM, toujours
bourru
Djam
ak djam ? Peut-on seulement avoir la paix chez soi avec tous ces hommes et
toutes ces femmes qui fourrent partout leurs longs pieds ?
Je
ne comprends pas ces femmes qui vont de maison en maison la journée durant avec
leurs longues langues.
Mais
Oumi GUEYE ne disait du mal de personne, Lam. Elle a parlé seulement de
tong-tong.
De
quoi ? Ngané lane, que dis-tu ?
Elle
a parlé de tong-tong.
De
quoi se mêle-t-elle, celle-là ? Je suis maître ici, chez moi. C’est à moi
seul d’en parler, de parler de ce tong-tong, de t’en parler quand je le juge
opportun, utile…
Je
n’allais pas t’en dire quoi que ce soit avant de savoir si je pouvais obtenir,
si j’avais obtenu ce que je voulais.
Et
que voulais-tu obtenir, Lam ?
Choisir
moi-même la partie, le morceau qu’il me faut de ce taureau que sont partis à
l’aube chercher nos jeunes gens avec leurs ânes ployant sous leurs charges de
graines… J’ai pu choisir, j’ai eu l’os !
L’OS ?
Un os ?
Oui !
l’os ! d’un jarret bien fourni en chair et bourré d’une moelle onctueuse.
Tu le feras cuire, doucement, lentement, longuement, jusqu’à ce qu’il
s’amollisse et fonde dans la bouche comme du beurre. Et ce jour-là que personne
n’approche de ma demeure.
RIDEAU
La
place des palabres de Lamène. Les Notables autour de Mame Magatte Lam.
SCENE I
Remercions encore nos vaillants jeunes gens qui ne sont
pas laissés tromper, pas berner par ces peulhs du Nord qui tètent la fourberie avec
le lait de leurs mères. Ils noous ont amené ce taureau en parfait état
d’embonpoint. Cette bête était magnifique.
Tu
ne l’as pas vue, Mame Magatte, arrivant hier soir à l’entrée du village avec ses cornes immenses…
Son
poil fauve qui brillait au soleil couchant, son cou massif comme une souche de
baobab, son fanon qui balayait la terre.
Et
quelle force, quelle vigueur !
Demandez
à Mor Lam. Il a évité de justesse le coup de pied qui a failli lui emporter le
crâne quand il a tâté le jarret du taureau. Heureusement pour lui que nos
jeunes gens tenaient bien tendues les cordes malgré leur grande fatigue.
Celui-là,
son ventre le conduirait au tombeau s’il l’avait sur le dos.
Il
faut aussi remercier Mbarrik-tifflé le boucher et ses aides pourognes. Ils ont
dépouillé proprement l’animal. La peau n’a pas une seule couture, pas un seul
trou.
Ils
ont surveillé tout le temps les enfants qui raclaient les rares lambeaux de
chair restant encore sur la dépouille.
Il
ne faut pas oublier non plus Serigne Dam. Il a fait équitablement le partage.
J’ai rarement vu un tong-tong aussi juste. Chaque famille a eu les morceaux de
viande, les bouts d’os et de tripes qu’elle voulait, je crois bien. N’est-ce
pas Ndiogou ?
En
effet…Tout le monde est content et satisfait. Même Mor Lam ce grincheux.
Même les enfants qui sont déjà
en train d’engloutir les abats et les raclures grillés.
Et
la peau, où est-elle ? Qu’en a-t-on fait Ma Sèye. ?
Je
l’ai fait donner à Woudé SOW le cordonnier. Il l’a déjà foulée. Il va la tanner
pour en faire un tapis de prières pour Serigne Dam.
TOUS, marquant
la satisfaction générale
- Waw, waw… Waw-Waw !
-
Iskèye
!
-
Al
Hamdou li lahi !
-
Dieu
est bon ! Yalla bax na !…
MOUSSA MBAYE, entrant
Assalamou
aleykoum mbok yi.
Reniflant
et en aparté
Quelle
odeur de viande dans ce village ! Deukeu-bi gheuneu xègne yappe !
Malikoum
salam Mbaye ! Maraxba Mbaye !
MOUSSA MBAYE, serrant
les mains
Lam,
Diègne, Sèye, Diagne, Seck ! Djam nguénam !
C’est
Mor Lam que je cherchais. Mon ami, sa mbokmbar Mor, je croyais le trouver parmi
vous.
Mor
Lam ? Il n’est pas venu à la prière de Yor-yor dé !
Pour
lui ce n’est sans doute qu’une prière surérogatoire !
Personne
ne l’a revu, kène guissa tou ko, depuis la prière de Fadjar.
En
quittant la mosquée il s’est dirigé vers la demeure de Mbarrik-Tifflé le
boucher.
Je
vais donc arriver jusque chez lui.
MBAR DIAGNE, ahuri
Chez
lui ? Hum ! Je crois que ce jour est bien mal choisi pour faire une
visite à Mor Lam.
MOUSSA MBAYE, étonné
Han ?
Lou khève ? Qu’y a-t-il ?
Mor
Lam n’est pas rentré chez lui tout seul, j’en suis certain.
S’il
n’est pas repassé par ici ni par la Mosquée c’est parce qu’il devait être
chargé. Il a dû repartir de chez Mbarrik avec sa part de tong-tong sous le bras
dès avant la fin de la distribution.
Je
suis sûr qu’il préférerait demeurer tout seul aujourd’hui dans sa maison
jusqu’à demain et peut-être même jusqu’après demain.
Mor
amoul xaritt katt, Mor n’a pas d’ami sa vay, mon ami.
Il
est comme la peau du singe, déroube golo la, qui n’est ni pour le cordonnier ni
pour le marabout. Heuwoul, djouliwoul !
Je
suis certain que s’il pouvait chasser même les mouches de sa demeure
aujourd’hui, il le ferait ;
Mais
je suis son mbok-mbar
Raison
de plus.
Ngané, nga né lane ? Que dis-tu Mame Magatte ?
Ma
né, je dis : raison de plus ! Approche, lagg sil ! Je connais
mon homme et je connais mon monde. Tout le monde sait ce que signifie la
fraternité-de-case. Plus forte que les liens fraternels, plus tyrannique que
l’affection filiale et que l’amour paternel, elle soumet l’homme digne de ce
nom à des règles, à des obligations, à des lois qu’il ne saurait transgresser
sans déchoir aux yeux de tous.
Avoir
mêlé à l’âge de douze ans, par une aube fraîche, sur un vieux mortier couché
sur le sol, le sang de son sexe au sang du sexe d’un autre garçon ; avoir
chanté avec lui les mêmes kassaks, les mêmes chants initiatiques, avoir reçu en
même temps que lui les mêmes coups de
lingués des mêmes selbés qui se vengent sur d’autres jeunes des coups qu’ils
reçurent naguère ; avoir mangé avec lui dans les mêmes calebasses jamais
lavées, les mêmes mets parfois délicieux mais le plus souvent immangeables,
infects par des surveillants sans pitié ; avoir été fait homme dans la
même case, le même mbar qu’un autre garçon, cela fait de chacun de nous, toute
notre vie durant, l’esclave de ses désirs, le serviteur de ses besoins, le
captif de ses soucis comme de ses caprices, envers et contre tous, père et
mère, oncles et frères.
C’est
vrai ! Deug leu ! C’est vrai.
C’est
vrai. Mais je crois que c’est là un fardeau trop lourd aujourd’hui pour les
épaules, la tête et le dos de Mor Lam. Attane nou ko tèye.
Mais
les coutumes ? … La tradition ? … L’honneur ? …
L’hospitalité ? … Le souci du qu’en dira-t-on ? Le Sikk, ce petit mot
si terrifiant ? … Que fait-il de tout cela ?
Pour
le Mor Lam que je connais ? Notre Mor Lam ? Je crois que ce sont là
des maîtres qui n’ont pas beaucoup de pouvoir sur lui …
Je
crois que ce sont là plutôt de pauvres esclaves qui ne suivent que très
rarement et de loin notre homme.
Disons
des compagnons qui ne logent pas souvent dans sa demeure.
J’entends
pourtant user aujourd’hui de mes droits de mbok-mbar.
LES NOTABLES, sceptiques
C’est
bien !
C’est bon !
Inch Allah, Sobe Yalla.
Bonne chance !
MOUSSA MBAYE, se
levant et prenant congé
Passez
la journée en paix… Lam, Diagne, Diègne, Seck, Sèye !
Passe-la
en paix toi aussi chez ton ami.
Djam
ak djam Mbaye.
Même décor : la demeure de Mor Lam.
Dans la case de droite : Mor Lam étendu sur le Tara.
Awa assise sur un petit tabouret près du foyer allumé et
portant une grande marmite.
Des ustensiles de cuisine, calebasses, etc.
Des nattes enroulées appuyées au fond de la case.
MOR LAM , se
redressant
Awa !
…
AWA, se retournant
Nam,
Lam !
Je t’ai déjà dit de cuire cet os doucement …
lentement … Longuement !
Waw Lam ! , elle se penche sur
la marmite.
As-tu mis dans la marmite tout ce qu’un
jarret réclame pour, une fois bien cuit, cuit à point, fondre délicieusement
dans la bouche comme du beurre ?
Oui
Lam.
Pour
qu’il puisse donner, qu’il donne un bouillon bien gras et bien moelleux qui
mouillera onctueusement ton couscous ?
Oui
Lam.
Surtout
ne l’écume pas ! Ne l’écume
jamais ! Mouk !
Oui Lam.
As-tu
bien vanné le grain ?
Oui Lam
MOR LAM
L’as-tu
pilé comme il le faut ?
AWA
Waw
Lam .
MOR LAM
As-tu
granulé la farine très, très, très fin, sans le moindre grain de sable ?
AWA
Oui
Lam.
L’as-tu
bien malaxé avec la quantité juste nécessaire et suffisante de bon lalo, de
bonne poudre de feuilles de baobab bien fine et bien verte qui l’aide bien
gluante à descendre de la bouche au
ventre ?
Waw
Lam ;
Mor
Lam se recouche sur le tara. Awa s’affaire dans la cuisine déplace les nattes,
remue les ustensiles.
MOR LAM , se
redresse et appelle
Awa
Ndiaye !
AWA, du fond de
la case
Nam Lam !
Où
est l’os, Awa ?
Va au foyer, soulève le couvercle de la marmite :
L’os
est là.
S’amollit-il ?
Prend une écumoire, la plonge
dans la marmite, pique le jarret.
Il
s’amollit.
Remets
le couvercle.
Waw
Lam.
Attise
le feu.
Waw
Lam.
Mor
Lam se recouche. Awa retourne au fond de la case.
Un temps…
Bruit dans la coulisse et heurts à la port de la clôture.
Et son de voix.
Mor
c’est moi ! C’est moi Moussa ! Moussa Mbaye ! C’est moi .
Ma na vaye ! Ton ami, ton frère, ton plus-que-frère, ton mbok-mbar
Moussa ! …
MOR LAM, se
levant brusquement
Awa !
Où
est l’os ?
AWA, retourne auprès du feu, soulève le couvercle de
la marmite.
L’os
est ici.
S’amollit-il ?
AWA,
Plonge l’écumoire dans la marmite, pique le jarret.
Il
s’amollit.
Ouvre-moi
vaye ! Oubi ma vaye Mor ! C’est moi Moussa, Moussa Mbaye !
Remets-moi
ce couvercle à sa place.
Waw
Lam.
MOR
LAM, prend une natte et sort de la case. Il s’éloigne, puis revient
devant la porte de la case.
Viens
et ferme-moi cette porte.
Waw
Lam.
MOR LAM , impatient
Gave
toul yow, fais vite !
Waw
Lam.
MOR LAM va étendre la natte au pied de l’arbre en grognant.
Soubokhoune !
Khoudossoune ! Au diable !
Heurts
plus forts à la porte qu’il va entrouvrir et que pousse Moussa Mbaye.
MOUSSA MBAYE, entrant
exubérant, familier
Assalamou
aleykoum ! Vaye vaye Mor a nghi vaye ! … mon plus-que-frère !
Awa Ndiaye, notre épouse, as-tu la paix ?
La
paix seulement Mbaye.
Ndiaye
Diatta notre épouse si bonne, na gha deff ?
Ma
nghi fi rék Mbaye, en paix seulement.
Ndiaye !
Mbaye,
ana va keur gha ?
Gna
ngha fa Ndiaye, tout le monde est là-bas.
Mbaye !
Ndiaye !
Il
se tourne vers Mor Lam, lui met la main sur l’épaule.
Alors Mor, mon frère,
comment vas-tu ?
MOR LAM , furieux
Bien !
Bi-en ! …
MOUSSA MBAYE , plus
qu’aimable
Et
comment va la maison, mon frère ? …
MOR LAM , plus
que furieux
Très,
très, trrès, trrrèès bien ! …
Et
comment va le village ?
Je
n’en sais rien.
Moussa
Mbaye va s’asseoir sur la natte.
MOR
LAM , le regarde toujours furieux, puis appelle Awa.
AWA
Nam
Lam.
Va
ma chercher une autre natte.
AWA
Waw
Lam.
Elle
va vers la case de droite. Mor Lam la rejoint, se penche.
Où
est l’os ?
L’os
est là-bas.
S’est-il
amolli ?
Awa
rentre dans la case, ressort avec une natte, va vers Mor Lam debout à quelques
pas.
Il s’est amolli.
Elle
va étaler la natte près de Moussa Mbaye qui est étendu sur l’autre natte, coude
droit au sol et la tête dans la paume de la main et qui regarde Mor Lam qui va
et vient sans arrêt.
Et
qui y’a t-il de nouveau dans le pays, Mor ?
MOR LAM, soulignant
en gestes larges
Rien…dara…
Touss ! …
Eh bien ! Ce n’est pas comme chez nous, mon
frère ! Bounama est mort !
Parfaite indifférence de Mor Lam à la nouvelle.
Mais
si ! Vaye ! Rappelle-toi, Bou-na-ma, Bounama Diop, le domou haram, le
bâtard qui faisait rougir au feu ses lingués avant de nous frapper et de nous
les frotter sur l’échine. Souviens-toi… Il ne posait que des devinettes, des
passines indéchiffrables que nous ne pouvions jamais dénouer.
Hon !
hon !
C’est
lui qui crachait toujours dans les calebasses qui contenaient les plats les
plus appétissants. Rappelle-toi vaye ! Il nous forçait toujours à ramasser
des branches d’épineux pour faire les fagots de bois mort du soir pour les
kassaks.
C’est
possible… Hau !…
Mais
si vaye ! Souviens-toi bien. C’est
lui qui t’avait forcé à grimper sur l’acacia pour cueilli un essaim et qui ne
nous avait laissé que la cire fondue et les cadavres d’abeilles quand tout
était cuit et le miel récolté.
C’est
possible…
Et
Médoune ? Te souviens-tu de Médoune ? Médoune Ngom ?
N-on !…
Mais
si vaye yovitt ! Médoune le grand talibé, chez Serigne Fall, notre maître
à l’école coranique. Celui qui nous prenait toujours le meilleur de ce que nous
rapportions comme aumône, riz au poisson, couscous ou bouillie de mil au
tamarin.
Heumm !
Mais
si ! Fatali Koul toi aussi ! Il fallait toujours qu’on lui donne cent
cacahuètes bien comptées avant d’avoir le droit d’en croquer une seule quand
nous allions glaner. Sans quoi quels
coups de poing nous recevions les uns et les autres. Tu ne te souviens plus de
lui ? Mor ?
Peut-être…
Tiens !
tu ne te souviens au moins du soir où Sa-dagga le Mbandakatt t’a demandé tes
lingués, tes baguettes, toi le toko le benjamin de la case des hommes et nous a
tenus toute la nuit avec ses kassaks dansés. Quel événement ! Ce soir-là
on n’a pas chassé les femmes et les jeunes filles qui venaient écouter derrière
la case. Cela ne s’était jamais vu de mémoire de botal. Aucun maître des
circoncis n’avait jamais toléré ça. Tu t’en souviens au moins ?
Non !
Tu
ne te souviens pas non plus du jour où nous avons suivi notre maître Serigne
Fall au village de Ndianghène ?
N-on !
Mais
si ! Vaye yovitt ! Rappelle-toi vaye ! Il faisait aussi chaud qu’aujourd’hui,
tiens ! Et comme aujourd’hui nous n’avions encore rien mangé à cette
heure-ci.
Cela
a pu être.
Mais
si ! Rappelle-toi. Nous trottions derrière le cheval de Serigne Fall. Et
tu avais beau t’accrocher à la queue du cheval, il avait fallu que je te
soutienne en arrivant à Ndianghène.
MOR LAM
C’est
possible.
Et
oui ! Nous avons beau dire et beau faire, nous avons beau penser à ce qui
faisait notre malheur et nos chagrins en ces temps-là. Nous en gardons un bon,
un excellent souvenir quand même.
Cela
nous a servi à devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Des hommes courageux,
bons, serviables, généreux, charitables, jamais oublieux . Non !
Jamais oublieux de nos devoirs réciproques de nos obligations mutuelles.
Jamais ! Jamais ! Jamais oublieux.
N’est-ce
pas, Mor ?
Hou
khou …
Entre
frères-de-case tout ce qui peine l’un, fait du mal à l’autre.
N’est-ce
pas Mor ?
Sans
doute.
Et
qui s’attaque à l’un fait du tort à l’autre . N’est-ce pas Mor ?
Certainement.
Entre
mbok-mbar tout ce qui est à l’un appartient à l’autre . N’est-ce pas
Mor ?
Peut-être…
Silence,
un temps.
MOR LAM ,
Se
lève, s’approche de Awa assise devant la porte fermée de la cuisine. Et demande
doucement :
Où est l’os ?
AWA,
Se lève, rentre dans la case.
Ressort un instant après et dit à voix basse :
L’os est là.
MOR LAM, de
même
S’est-il amolli ?
AWA, de même
Il
s’est amolli.
Mor
Lam, retourne s’asseoir sur la natte. Awa sur son tabouret.
Un temps, silence, puis appel du muezzin pour la prière de
Tisbar.
MOR LAM et
MOUSSA MBAYE , assis sur les nattes.
De dos AWA, derrière
eux. Ils achèvent la prière.
Assalamou
Aleykoum !
MOUSSA MBAYE, égrène
son chapelet
MOR LAM, se
lève, se retourne et rejoint AWA
Où est l’os ?
AWA,
Se
lève, rentre dans la case, en ressort un instant après.
L’os
est là-bas.
S’est-il
amolli ?
Il
s’est amolli.
S’est-il
bien amolli ? (dans sa barbe)
Ce Moussa, domou haram dji, ce fils de malheur, ce chien ne va pas s’en
aller. Awa je vais tomber malade.
Quoi ?
Ngha né lane ? que dis-tu ?
Je…
Vais… tomber malade. Je te dis que je suis … malade.
Il
tremble de tout le corps et tombe raide.
Voye
yaye ôô ! Voye mane ! Li lane la ? Qu’est
ceci ? Moussa ! Moussa MBAYE, ton frère est malade.
MOUSSA MBAYE , tournant
la tête
Quoi ?
Mor malade, kagne ? Et depuis quand ?
Tout
de suite, fi sassi, à l’instant. Regarde-le. Il tremble et transpire comme une
gargoulette d’eau pendue à l’ombre. Regarde-le ! Il grelotte et frissonne
comme le lait qui va bouillir !
MOUSSA MBAYE , se
lève et s’approche
Ce
n’est rien. Ce doit être un petit accès de sibirou seulement bien que nous ne
soyons pas encore à l’époque des crises de paludisme.
Aide-moi,
Moussa. Il ne faut pas laisser ton frère
ici en plein soleil, transportons-le dans la case.
Ils
le soulèvent par les aisselles et se dirigent vers la case de droite.
MOR LAM ,
soufflant et geignant
Pas
par-là, pas de ce côté, pas dans cette case. Dans l’autre. Il y fait plus
frais.
Awa
et Moussa, transportent Mor Lam dans la case de gauche, ils le couchent sur le
lit.
AWA,
Couvre son mari avec des
pagnes pris dans la malle. Elle pleure et se lamente.
Vouye ya ye ye ! Voye
mane ! Voye sa
ma ndèye. Mor li lane la…
Même décor, la nuit.
MOR LAM , couché sur le lit, dans les pagnes jusqu’au cou.
AWA a son chevet.
MOUSSA MBAYE , à ses pieds.
MOUSSA
MBAYE , se lève, s’étire longuement et sort de la case. Il fait quelques pas
dans la cour en égrenant son chapelet.
MOR LAM , soulève la tête
Awa
Ndiaye !
Nam
Lam !
Où
est l’os ?
L’os est là-bas.
S’est-il
amolli ?
Il
s’est amolli.
S’est-il
bien amolli ? Il s’est bien amolli ?
Il
s’est bien, bien amolli.
As-tu
éteint les braises ?
Les
braises sont éteintes.
Où
est Moussa ?
AWA, sort, puis
revient
Moussa
est dans la cour, près de la porte.
Domou
haram dji, cet enfant de malheur, ce chien ne s’en va pas, dou dème, ne veut
pas s’en aller. Awa, je vais mourir.
Ngané
lane ? Que dis-tu ?
Je
vais… mourir ! Il sera bien forcé de s’en aller. (Il retombe sur le
lit) Je suis mort !
AWA, hurlant
Moussa,
Moussa Mbaye ! Manèye ! moussa, ton frère ! Vouye sa ma ndèye ! Vouye mane èye ! Moussa, Moussa ton
frère ! Ton frère Mor est mort !…
MOUSSA, arrive
sans se presser devant la case
Lou
khève ?
Regarde-le.
Il est mort. Il est déjà raide.
MOUSSA MBAYE , incrédule
Dé
khatt, fissassi ? Là, tout de suite , Mort ? Ce n’est pas possible vaye !
Je
te dis qu’il est mort, décédé !
Bismalaï
djam ! Khalo ! Nous ne sommes pas grand-chose sur cette terre !
Doune ya khouroroune ! Vaye, vaye sa mbok-mbar mi vaye ! Mor Lam mort
si vite, dé xaat ? Que dieu ait pitié de toi. Et qu’il ne se presse pas
pour nous.
AWA, en pleurs
Moussa,
va chercher Serigne dam, Mame Magatte et les gens du village.
Jamais
de la vie ! Jamais ! Jamais je n’abandonnerais mon
plus-que-frère à cette heure-ci même et surtout mort. Ni toi non plus toute
seule près de son cadavre.
La
terre n’est pas encore froide. Le premier coq n’a pas encore chanté.
Je
ne vais pas ameuter tout ce village où je ne suis qu’un étranger, en pleine
nuit, au risque d’attirer les djinnés, de faire venir les deums, les sorciers
dans ta maison.
Nous
allons veiller ce cadavre tous les deux seuls, comme nous le devons. Nous qui
sommes, je veux dire : nous qui fûmes les êtres qui lui furent les plus
chers.
Le
jour se lèvera, Inch Allah ! Les femmes passeront par ici je crois pour
aller au puits. Sois certaine qu’elles se chargeront d’annoncer bien vite cette
triste nouvelle à tout le pays.
En
attendant, prions pour lui, pour que Dieu lui donne sa part de paradis.
Prions
pour mon frère.
Il
s’assied par terre devant la case et commence à égrener son chapelet.
Un temps. Appel du muezzin à la prière de Fadjar.
Bruits
et rumeurs dans le village qui s’éveille.
Chants
des coqs.
Braiments
des ânes.
Puis
voix de femmes.
SCENE
II
VOIX DES FEMMES, en
coulisse
Awa.
Awa
Ndiaye.
Tu
viens au puits ?
AWA, sort de la
case en hurlant
Vouye
mane èye, vouye mane ! Mor mon mari est
mort !
OUMI GUEYE et des FEMMES,
Entrent dans la cour, calebasses et
canaris sur la tête ou sous les bras.
Ngané
lane ! Que dis-tu ? Vaxal djam !
Mor
est mort, décédé !
Quand ?…Kagne ?…
Cette
nuit ! Vouye mane ! Vouye mane èye !…
Mô
yène ! Et de quoi est-il mort ?
Hèye !
Criez moins fort ; Parlez plus doucement. Et de quoi meurt-on ? C’est
Dieu qui tue son esclave. Yalla moye rèye djame mam. C’est Dieu qui l’a rappelé
à LUI. C’est tout. Il en fera de même de nous tous. Chacun son heure. Celle de
mon frère est arrivée. Allez chercher Serigne Dam et vos hommes.
Les
femmes sortent.
AWA et MOUSSA
MBAYE , dans la cour.
Le cadavre de MOR LAM , dans la case.
AWA,
Rentre dans la case. Elle se penche sur le lit.
Mor
Lam, djogueul, lève-toi. La chose devient sérieuse et va nous déborder des
mains. Tout le village va venir dans la maison.
Où
est l’os ?
L’os
est là-bas.
S’est-il
amolli ?
Il
s’est amolli ?
S’est-il
bien amolli ?
Il
s’est bien amolli.
MOR LAM
Et
Moussa, où est-il ?
AWA
Moussa
est toujours là.
Laisse
venir le village.
SERIGNE DAM et les
NOTABLES ? entrent dans la cour.
Assalamou
aleykoum !
Malikoum Salam.
Que
venons-nous d’apprendre ? Que Mor Lam est mort ?
Djabar
djè ko vax dé. C’est sa femme qui dit qu’il est mort, qu’il est mort avant le
premier chant du coq. Je n’ai pas assisté à son agonie.
J’étais
dans la cour en train d’égrener mon chapelet, là où nous nous tenons.
Khalo nari lahi !
AWA, sortant de
la case
Serigne
dam Hi-hi ! Vouye mane ! Mon mari est mort vouye ! Que vais-je
devenir ?
Cela s’est bien vite passé.
Ndéyssane !
Vaye vaye, Mor vaye !
Bismilahi
djam.
Khalo !
Que Dieu ait pitié de lui. Nous allons lui faire sa toilette.
Il
se dirige vers la case.
AWA, lui barrant le chemin
Oui,
Serigne dam, oui ! Mais attendez Serigne
que je range, que je mette de l’ordre dans la case.
Elle rentre dans la case, se penche sur
le lit.
Mor
Lam lève-toi, djogal. L’affaire devient trop grave, Serigne Dam est là avec les
hommes. Ils vont venir te laver.
Où
est l’os ?
L’os
est là-bas.
MOR LAM MOR LAM
S’est-il
amolli ?
Il
s’est amolli .
Fongg
na bou bax ?
Il
s’est bien amolli.
MOR LAM
Où
est moussa Mbaye ?
Moussa
Mbaye est encore là.
Qu’ils
viennent me laver.
AWA, sort de la
case en larmes
Serigne
Dam, bismila, entrez.
SERIGNE DAM
et DEUX HOMMES entrent dans la case.
AWA, ferme la
porte
Conversations à voix basse des Notables avec moussa
Mbaye.
OUMI
GUEYE et des FEMMES,
entrent dans la cour.
LES
MEMES.
Hier encore il était droit comme un piquet… Un piquet
d’épineux.
Il
est bien vite parti.
Quel
homme généreux c’était !
OUMI GUEYE, toisant
la femme
Tu le connaissais bien,
toi ? parler de sa générosité. Il est vrai que tous les morts emportent
avec eux tous leurs défauts et leurs vices et ne nous laissent que leurs vertus
et leurs qualités.
Elles
entourent Awa Ndiaye.
Le Bon Dieu ne fait que
ce qui lui plait, Karim là.
Nos condoléances, Awa,
sighil ndighalé Ndiaye, Massa Ndiaye, courage Awa !
SERIGNE DAM,
sortant de la case, suivi des Hommes
Donne-nous le linceul.
Oui, Serigne. Il y a une
pièce de percale dans la grande malle de mon pauvre mari. Il l’avait achetée à
un dioula il y a longtemps. Il attendait toujours pour s’en faire un boubou. Je
vous l’apporte.
Dieu seul sait ce qu’il
veut. Mais il n’en faut que sept coudées.
Oui Serigne DAM.
Elle
rentre dans la case. Se penche sur le lit.
Mor Lam, lève-toi, tu
exagères, djogal ! Ils vont venir t’ensevelir katt ! Ya nghi heupeul
sollo bi !
Où est l’os ?
L’os
est là-bas.
MOR LAM
S’est-il
amolli ?
Fongg na.
Fongg na bou bax ?
AWA
Il s’est bien amolli.
MOR LAM
Et où est Moussa
Mbaye ?
AWA
Moussa MBAYE est
toujours là.
MOR LAM
Laisse qu’il
m’ensevelissent.
AWA, sort de la
case
Serigne Dam, bismila,
entrez.
Serigne et les Hommes
entrent dans la case.
Un temps.
Ils ressortent.
SERIGNE DAM, aux
hommes
Allez chercher la
planche et le cercueil.
AWA, courant
vers Serigne Dam
Serigne Dam, Serigne,
attendez, xar lène, nèk lène touti, attendez un peu.
Serigne, mon mari
m’avait recommandé de réciter sur son cadavre si par malheur il mourrait avant
moi, une sourate qu’il m’avait apprise, pour que Dieu ait encore davantage
pitié de lui.
Va mon enfant, va prier pour lui. Va prier pour lui. Les morts ont toujours
besoin de nos prière. Nul ne sait ce qui les attend. Ni ce qui nous attend.
AWA,
Rentre dans la case, se penche sur Mor Lam.
Mor Lam lève-toi, leuf
li heuppeu neu, c’est trop ! tu
dépasses les bornes ! Ils vont venir te mettre sur la planche. Ils vont te
couvrir avec le cercueil et mon pagne de tjavali que je vais leur donner.
Elle
fouille dans la malle.
Ils vont t’emporter. Ils
vont prier sur toi… Ils vont t’emporter au cimetière… Ils vont t’enterrer !…
MOR LAM , à
travers son linceul
Où est l’os ?
AWA, sanglotant
L’os est là-bas.
S’est-il amolli ?
Il s’est amolli.
S’est-il bien
amolli ?
Il s’est bien amolli.
Fongg na bou bax.
Et
où est Moussa Mbaye ?
Moussa Mbaye est encore
là.
MOR LAM
Laisse qu’on me mette
sur la planche. Laisse qu’on me couvre du cercueil et de ton pagne de
tjavali. Laisse qu’on prie sur moi. Laisse qu’on m’emporte au
cimetière…J’espère que ce fils de
malheur, que ce bâtard, ce fils de chien partira enfin de ma maison.
RIDEAU
Le
temps de la levée du corps.
SCENE VI
Même
décor.
Dans
la cour AWA en deuil, tête voilée d’un pagne.
LES
FEMMES autour de AWA, OUMI
GUEYE.
En
coulisse : fin de la prière des morts, litanies, bruits, murmures.
OUMI GUEYE, venant
de dehors
Presque tous les hommes
du village sont venus. Ils ont fini de faire la prière sur la place devant la
maison. Ils vont maintenant l’emporter au cimetière.
AWA se lève, bouscule les femmes et court en hurlant.
Serigne Dam ! Serigne Dam ! Serigne !
SERIGNE DAM, apparaît
à la porte
Qu’y a-t-il Awa Ndiaye
mon enfant ?
Serigne, Serigne Dam,
Khare lène, attendez. Serigne Kharal ! Mon mari m’avait suppliée de dire
sur son cercueil après la prière de tout le monde, une dernière sourate, une
dernière prière qu’il m’avait fait apprendre, pour que Dieu nous pardonne lui
et moi tout le mal que nous aurions pu faire sur terre ; tous les manquements que nous aurions pu
commettre ici-bas. Il m’avait assuré qu’il en aurait fait autant pour moi, si
j’étais partie avant lui.
Viens mon enfant.
Serigne
Dam soutient Awa. Ils sortent.
Un
temps.
VOIX DE AWA , en
coulisse
Mor
Lam lève-toi ! Mor Lam djogheul ! Lève-toi Mor LAM, tu
exagères !
OUMI GUEYE
Mô
yène mais Awa Ndiaye devient folle katt ! Voilà qu’elle parle à un
cadavre. Doff na katt !
VOIX DE AWA, en
coulisse
L’os
est là-bas…
Il
s’est amolli…
Il
s’est bien amolli…
Moussa
est toujours là…
Ndeyssane !
La pauvre !
Awa
Ndiaye reviens ici, les femmes ne suivent pas les enterrements dé !
AWA, revient en
sanglotant
Vouye mane, voye
èye !
RIDEAU
La tombe de MOR LAM
Obscurité. Puis bruits de tonnerre et des éclairs.
VOIX DE MOR LAM, couché, dans son linceul
Mô vaye ! Qu’est-ce
que c’est que ça ? Li lane la ?
Une
apparition.
Bruits
de tonnerre. Eclairs.
VOIX DE MOR LAM,
pleine de terreur
Ki kana, ki kane la ? Qui es-tu , Ki ka
na ? Voye sa ndèye ! Qui es-tu u uu !?
UNE VOIX FORTE, PROFONDE, tombant du ciel
C’est moi Abdou Djambar ! Abdou Djambar, l’Ange
de la mort.
MOR LAM, déchirant son linceul
Abdou Djambar !
L’Ange de la Mort ? Mais je ne suis pas mort kaat, hein ! C’est un os
qui m’emmène ici ! Lâche ce gourdin, lâche ton boldé. Un os.
ABOU DJAMBAR,
le poursuivant à coups de gourdin
Un os ?
MOR LAM, se
cognant à tous les coins de sa tombe.
Je te dis que c’est un os ! Un OSS ! un
OSSSSSSSS.
RIDEAU
EPILOGUE
Même décor. La cour de
la demeur de Feu MOR LAM . MOUSSA MBAYE , SERIGNE DAM, LES NOTABLES debout
dans la cour. AWA NDIAYE, OUMI GUEYE, DES FEMMES dans la case de gauche.
SCENE I
SERIGNE DAM, MAME
MAGATTE et MBAR DIAGNE s’écartent du
groupe et au fond de la cour se concertent un instant.
SERIGNE DAM,
revient auprès de Moussa Mbaye
Moussa Mbaye !
Nam,
waw Serigne !
Moussa
Mbaye, tu fus le frère, plus que le frère, le plus-que-frère de feu Mor Lam…
-
Deug-leu.
-
C’est
vrai !
-
Ate
satt !
-
C’est
la vérité.
Awa Ndiaye est encore
jeune. Elle ne peut pas, elle ne doit pas rester toute seule…
LES NOTABLES
C’est
vrai, Serigne Dam, c’est la vérité, deug leu…
SERIGNE DAM
Elle
ne peut pas passer en de meilleures mains que les tiennes. Elle ne peut avoir
d’abri plus sûr que ton toit.
LES NOTABLES
Ate
satt, c’est vrai, deug leu Serigne Dam !
SERIGNE DAM
Donc
son veuvage terminé, c’est à dire dans soixante jours, tu la prendras pour
femme. Elle sera pour toi, nous en sommes sûrs, une très bonne épouse, une
excellente compagne. Qu’en dites-vous mbok yi ?
MAME MAGATTE
Rien
que du bien, lou bax rék.
Lo
lo wara am, c’est ce qui doit être, donc ce qui doit se faire.
LES NOTABLES , s’en
allant
Waw
kaye . C’est parfait ainsi.
C’est
très bien ainsi… Lo lo bax vaye…
Salaw... Amine vaye...
MOUSSA MBAYE , maintenant
tout seul dans la cour.
Appelle
d’une voix forte.
Awa
Ndiaye yo !
AWA, dans la case avec les femmes
Nam,
Mbaye.
MOUSSA MBAYE
Viens
ici, kaye fi !
AWA, sort de la case, le pagne de deuil sur la tête et
les épaules.
Me voici Mbaye, ma nghi Mbaye.
MOUSSA MBAYE
Où
est l’os ?
AWA, indiquant de la main la case de droite
L’os est là-bas.
MOUSSA MBAYE
Apporte-le
et qu’on en finisse.
RIDEAU